Jérôme Alquié est un dessinateur et coloriste français né le 12 avril 1975. Il est l’auteur de Capitaine Albator, les Mémoires de l’Arcadia. Voici une interview réalisée avec lui :
1) Tu as découvert les dessins animés japonais dans les années 80, quelle a été la toute première série que tu as vue (ou épisode) ?
Je suis né en 1975 et j’ai vu l’arrivée des tout premiers dessins animés, j’ai des souvenirs assez précis des épisodes de Goldorak, principalement dans les débuts des années 80. Après, j’ai découvert Capitaine Flam et Ulysse 31 tous les soirs sur FR3. San Ku kaï, que j’avais aussi adoré. J’avais vu Albator mais je n’étais pas un grand fan à ce moment-là. J’avais quelques connaissances du personnage par l’intermédiaire de mon frère (qui est de 4 ans mon aîné). Il regardait la série et avait même quelques bandes dessinées. J’ai aussi eu un Atlantis en jouet mais j’ai vraiment découvert cette série en 1994 dans l’émission Télévisator 2 présentée par Cyril Drevet et je l’ai trouvée géniale ! C’est à ce moment que ma passion pour Albator a commencé.
En ce qui concerne les tout premiers dessins animés. C’était vraiment le triptyque Goldorak, Capitaine Flam et Ulysse 31 qui m’ont marqué lorsque j’étais petit.
2) Qu’évoquent pour toi les émissions comme le Club Dorothée, Récré A2 ou Youpi l’école est finie ?
C’était tout simplement ma bulle d’oxygène. Quand je rentrais de l’école, je n’avais qu’une seule hâte, me mettre devant les dessins animés. Récré A2 dans un premier temps, au début des années 80, avec les séries citées plus haut (Goldorak, San Ku Kaï…), ou même les « Tokusatsu » (X-Or…). Le Club Dorothée est arrivé un petit peu plus tard (en 1987 je crois) avec quelques rediffusions de ce qui me plaisait et surtout la découverte de blockbusters incroyables comme les Chevaliers du Zodiaque ou Dragon Ball qui m’ont conforté dans l’idée que j’étais passionné de dessin et que j’avais envie, un jour, d’en faire ma profession.
C’est amusant parce que je regardais le Club Dorothée pour les Chevaliers du Zodiaque puis dès que c’était terminé, je zappais sur la Cinq pour Youpi l’école est finie où, étant fan de foot et Marseillais (supporter de l’OM évidemment), je me régalais en regardant Olive et Tom se disputer le ballon de foot sur les terrains de 400km de long. Jeanne et Serge, toutes les Magical Girls (que j’ai aussi découvert sur la Cinq) sont de très bonnes séries qu’on aurait certainement pas vu en France si la Cinq ne les avait pas diffusées (au moins dans un premier temps).
Ces émissions étaient aussi une récompense pour avoir bien travaillé à l’école. Ce qui me donnait une grande motivation pour être bon élève.
3) En 2019, tu as fait une entrée remarquable avec Capitaine Albator, les Mémoires de l’Arcadia, combien de litres de sueur as-tu perdu lors de la présentation du projet à Leiji Matsumoto et lors de ta première rencontre avec lui ?
Le projet a été présenté sans moi. J’ai réalisé un dossier le plus complet possible qui a été présenté en octobre 2014 à Leiji Matsumoto, par les éditions Kana, lors d’un de leur voyage au Japon pour discuter de l’exploitation des œuvres de Matsumoto dont ils exploitent la licence.
Manifestement, et de ce que j’ai eu comme retour, le contact s’est très bien passé avec l’éditeur japonais Akita Shoten. Leiji Matsumoto a trouvé le projet très intéressant et motivant. Il a donc donné son feu vert pour continuer à travailler sur le dossier. Afin qu’il puisse être le plus beau et le plus finalisé possible en terme graphique et scénaristique. En parallèle, Kana préparait une présentation financière pour la validation du projet. Tout cela a mis du temps à se mettre en place, jusqu’en 2017 quand nous avons vraiment démarré. On travaille directement avec l’Akita Shoten, l’éditeur japonais de Leiji Matsumoto. Il sert d’intermédiaire avec le Maitre et va le voir régulièrement pour valider tout ce qu’on envoie.
La validation se fait en 3 étapes : scénario complet, storyboard et planches finales.
Nous avons des commentaires de Leiji Matsumoto à chacune des étapes, toujours pertinents, intéressants, et aussi très motivants. « On voit la passion qu’est la vôtre, continuez comme ça, continuez à vous faire plaisir ». Même si parfois nous avons aussi des remarques plus pointilleuses sur certains détails scénaristiques ou graphiques.
Bien que nous ayons beaucoup échangé, notre première rencontre s’est faite à la Japan Expo. C’était un grand moment d’émotion avec une rencontre sous les caméras de M6. Ce n’était pas le plus naturel et le plus spontané possible vu l’importance de la personne et la présence des caméras. Lorsque, finalement, je me suis retrouvé devant lui. J’ai commencé par le remercier en lui disant que c’était un honneur pour moi d’avoir eu son aval pour travailler en collaboration et faire briller Albator. Il m’a gentiment coupé dans mon discours en mettant sa main sur le cœur. Et en me disant en japonais (traduit par la personne présente) : « Ne me remerciez pas, c’est moi qui vous remercie de faire vivre le personnage d’Albator en France ».
J’ai été très ému d’entendre ces paroles et ça a renforcé ma motivation. Clairement je donne tout ce que je peux et je mets toute ma passion dans le personnage. Ainsi que dans le respect de l’œuvre originale et le grand homme qu’est son auteur. Il s’agit d’une personne extrêmement talentueuse, qui possède beaucoup de qualités humaines et je fais tout ce que je peux, en effet, pour faire briller le personnage.
4) Le 15 novembre est sorti le tome 2 des Mémoires de l’Arcadia, combien de temps cela te prend-il pour réaliser un tome complet (étapes etc…) ?
Un tome complet se fait, comme je le disais tout à l’heure, en 3 étapes : scénario, stroryboard et planches finales. Je mets entre 6 et 7 mois pour faire un tome complet sachant qu’il s’agit là du temps de réalisation. Mais il y’a aussi le temps de réflexion. Ce sont des dizaines d’heures à penser à ce qu’on veut faire, échanger, discuter avec les membres de l’équipe. Il m’arrive parfois de mettre plus d’une heure avant de m’endormir le soir parce que j’essaye d’imaginer les scènes. Être sûr de la meilleure façon de la décrire, de développer les caractéristiques psychologiques des personnages, de la pertinence de leurs actions. Il ‘agit d’un travail à temps plein mais, en termes de réalisation pure. Il faut à peu près compter 7 mois de travail pour arriver au produit fini.
Après il y’a aussi toute la partie communication et promotion pour présenter la licence. Il ne faut surtout pas négliger ce point. On peut réaliser un très bon album mais s’il n’est pas mis en avant ou que les librairies ne suivent pas, on risque de passer à côté de son public, alors qu’un album de moins bonne qualité mais avec la bonne promotion rencontrera trouvera ses lecteurs plus facilement. Ces parties doivent donc être les plus soignées possibles.
Après la réalisation, la promotion il faut également consacrer du temps pour des dédicaces, des présentations, des interviews et je trouve que c’est ce qui a été extrêmement bien fait sur le Tome 1. Le calendrier qui a été parfait, la sortie du volume étant une semaine avant la venue de Leiji Matsumoto en France pour la Japan Expo. Cet évènement a été un superbe tremplin de lancement. Il faudra en effet réussir à se renouveler pour le tome 2, peut-être pas avec la présence de Leiji Matsumoto mais au moins ma présence à différents endroits pour les dédicaces. Je pense qu’il est primordial de soutenir le projet.
5) Si je ne me trompe pas, vous ne ferez que 3 tomes, Leiji matsumoto ayant déclaré, lors de la dernière Japan Expo, vouloir terminer l’ensemble de ses œuvres tant qu’il peut encore dessiner ou superviser le travail d’autres dessinateurs. Pensez-vous plus tard apporter d’autres choses au Matsumoto Univers ou avez-vous déjà d’autres projets en tête ?
En effet, Albator, les Mémoires de l’Arcadia s’étalent sur 3 tomes. Il ne fallait pas envisager trop long. Par expérience, quand on veut aller trop loin, le public finit par s’en lasser un peu. J’aurai peut-être eu moins de choses à raconter dans les tomes suivants. Là je trouve que ces 3 tomes sont déjà très denses au niveau scénaristique. Il a fallu condenser pour tout faire intégrer l’ensemble de l’histoire.
Il ne faut pas oublier que nous sommes sur un format franco-belge qui ne contient que 46 planches. Ce qui est très différent du format manga que nous connaissons. Certes ces planches sont grandes et en couleurs mais nous sommes limités et tout doit rentrer. C’est un peu comme une trilogie de films, on sait que nous avons à peu près 2h par film et non 5h ou 6h et si on voit que ça marche, on en fait 5 de plus. Albator, les Mémoires de l’Arcadia sont construits sur 3 tomes et resteront ainsi. En plus, je ne suis pas certain d’avoir beaucoup de choses encore à raconter comme autres aventures.
Après, l’œuvre de Matsumoto en France, est surtout connue autour du Capitaine Albator. Nous connaissons un peu moins Galaxy Express ou Yamato, ce genre de séries n’ayant pas vraiment trouvé un public en France, contrairement à Albator qui, lui, a marqué toute une génération. Je ne pense pas que ce soit vraiment pertinent, même si de mon côté je serai passionné de le faire. Utiliser les œuvres moins connues de Leiji Matsumoto. De plus il y a, en effet, d’autres projets qui se bousculent au portillon. D’autres univers, d’autres envies à explorer, personnelles comme sous licences.
Cependant, il est vrai que, si les étoiles s’alignent pour travailler sur de nouveau sur l’univers de Matsumoto, j’en serai ravi, étant moi-même un grand fan de toute son œuvre. Je ne peux qu’avoir envie d’enrichir son œuvre. Si bien-sûr Maitre Matsumoto me le permet et valide ce que nous faisons.
6) Concernant l’univers de Matsumoto ou même d’autres mangas comme Full Metal Alchemist ou Gunmm, quel concept avez-vous de l’immortalité, de l’âme et du cœur ?
Ma première rencontre avec l’immortalité, c’était l’arc narratif dans la série Capitaine Flam, de l’Empereur de l’Immortalité dont je me rappelle très bien. Le principe était que l’Empereur de l’Immortalité vendait un élixir qui rajeunissait, donc qui donnait « une vie éternelle », à quiconque buvait cette eau rajeunissante sauf que les effets étaient temporaires et que, si on n’en buvait pas régulièrement, on finissait par en mourir. Un peu comme une drogue. Je me souviens très bien des images où les personnages vieillissent d’un coup et finissent par mourir et je me rappelle du dernier épisode où les habitants de la capitale éternelle vivaient autour de la source d’immortalité et pouvaient en boire quand ils voulaient, donc vivre éternellement. Certains d’entre eux devenaient fous et finissaient par se pendre ou se suicider.
Ça m’avait marqué quand j’étais petit, c’était un peu trash comme traitement. C’est sûr que ça ne risquerait pas de passer aujourd’hui à la télé. Mais j’ai été impressionné parce qu’ils n’arrêtaient pas de dire que « la vie n’a de sens que quand on la sait limitée et qu’on l’emploie à faire le bien durant sa courte existence ». Personne de proche autour de moi n’était décédé à ce moment-là, ce fut mon premier contact avec la mort et l’immortalité, j’avais 6-7 ans.
C’est aussi ce qui ressort de toutes les histoires de Leiji Matsumoto, dont Galaxy Express (très bon exemple). Le jeune Testuro part à bord du train avec Maetel pour se faire mécaniser et devenir immortel. En arrivant au bout de son voyage, enrichi par les expériences qu’il a pu avoir. Il s’aperçoit qu’il faisait complètement fausse route. La vie n’a de sens que si elle a une fin. Et je trouve que toutes les histoires qui vont dans ce sens-là sont de bonnes leçons d’apprentissage.
Il y’a beaucoup de séries TV qui évoquent le sujet. Pour moi c’est plus des questions sur le transhumanisme (l’augmentation de l’humain par la robotique), l’immortalité de l’âme. On se demande aussi si les robots ont une âme. On peut voir ça dans Gunnm ou Ghost in the Shell par exemple. Mais j’adhère plus au concept sur le lien entre l’âme et le cœur qui est véhiculé dans les oeuvres de Matsumoto, surtout dans Galaxy Express.
7) Pour terminer, si un jour vous souhaitiez créer votre propre personnage, quelles caractéristiques (physiques et morales) aimeriez-vous lui donner ?
Des personnages j’en ai déjà créé quelques-uns. J’ai fait une série entre 2010 et 2013 qui s’appelle Surnaturels (aux éditions Delcourt). Le personnage principal a été créé avec mon scénariste (Arnaud Dollen). Il est très intéressant parce qu’il s’agit d’une jeune fille, qui parait fragile et en fauteuil. Mais qui acquiert au cours de ses expériences, une certaine force de caractère et dépasse ses faiblesses. C’est ça qui m’intéresse vraiment dans les personnages, comment les faire surpasser leurs faiblesse, vaincre leurs doutes…
Dans le tome 2 d’Albator, les mémoires de l’Arcadia, je me focalise particulièrement là-dessus. Comme dans la série de 78 qui présentait le personnage de Stellie (Mayu en japonais). La petite fille voit son tuteur, le Capitaine Albator comme la figure héroïque paternelle qui veille sur elle.
Ce qui est intéressant, les années passant et moi-même étant devenu papa, c’est qu’on se pose toujours la question « de savoir si l’on fait bien et si les choix qu’on a fait sont toujours les meilleurs ». J’ai trouvé ça bien d’explorer ces interrogations dans le tome 2 des Mémoires de l’Arcadia, de se poser la question de savoir ce que penseraient nos enfants (si on se projetait dans l’avenir), s’ils seraient reconnaissants et positifs de l’éducation qu’ils ont reçue. Ou si, au contraire, ils nous reprocheront de nous être ratés.
C’est le point de départ des réflexions du tome 2 des Mémoires de l’Arcadia. Ce sont ces notions que je voulais approfondir parce qu’elles me permettent justement d’explorer des facettes sombres et des faiblesses des personnages. Un personnage fort est intéressant à condition d’avoir une faiblesse. . Ce qui marque les personnages c’est leurs faiblesses, leurs doutes et leurs hésitations.
Donc si un jour je devais recréer un personnage, je voudrai qu’il soit évidemment fort. Mais avec des faiblesses assez importantes pour mettre en avant sa psychologie. C’est un peu ce que j’ai essayé de faire sur le tome 2 de Capitaine Albator, Mémoires de l’Arcadia.
Découvrez le trailer du tome 2 sortie en France le 15 novembre :
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